Le radieux Trio pour piano n° 1 en si bémol s’étend sur une quarantaine de minutes avec le programme en quatre mouvements requis écrit en grand dans le style romantique « tardif » de Schubert. Le premier mouvement tentaculaire est une forme de sonate épique à deux thèmes qui commence majestueusement par des octaves de signature et une cadence rythmique pointée qui propulsent la musique tout au long. Un deuxième thème lyriquement gagnant introduit par le violoncelle établit la polarité distinctive entre laquelle Schubert oscillera somptueusement jusqu’à ce que, vers la fin, les deux thèmes se rejoignent brièvement en contrepoint. Les textures du trio sont riches et colorées, mais transparentes et parfaitement équilibrées dans un dialogue fluide qui corrige toujours le retour de thèmes familiers avec de nouveaux vêtements. Comme dans tout le trio, Schubert utilise ses modulations « magiques » (changements d’accords et de tonalités surprenants) pour articuler et prolonger ses passages avec une nuance d’émotion indescriptible. Le mouvement lent trouve Schubert dans sa plus belle heure lyrique, une « chanson sans paroles » au sens le plus profond. Un duo amoureux de cordes intimement entrelacées chante sur un doux accompagnement de piano de trois mètres qui finira par se joindre à des textures étincelantes à trois voix. Il suit une forme « simple » en trois parties avec un interlude dramatique plus entraînant interrompant brièvement la sérénité. Gracieux, mais profondément expressif, il est d’autant plus envoûtant pour sa couleur instrumentale en constante évolution. C’était la deuxième version de Schubert du mouvement lent pour ce trio ; sa première version, de caractère tout à fait différent, est maintenant publiée séparément sous le nom de Notturro, D. 897. Avec plus de la moitié du trio consacré aux deux premiers mouvements épiques, Schubert complète ce chef-d’œuvre avec le scherzo classique et le rondo final. Le scherzo, tout aussi vaste, présente une danse animée pleine d’imitations en trois parties, de digressions humoristiques, de dynamiques ludiques, de rythmes et de silences, tous basés essentiellement sur des échelles simples. Le trio est plus posé, un Ländler pour violon et violoncelle. Bien que Schubert intitule son dernier mouvement « Rondo », beaucoup ont fait remarquer que la forme musicale est plus complexe que cela. Les thèmes primaires servent de refrain et d’épisode de rondo, mais ils sont soumis à variation et développement à la manière d’une sonate et d’un thème et variations combinés donc les itérations sont moins évidentes. Encore une fois, de beaux thèmes longilignes, colorés, des partitions spacieuses, des feintes, des modulations et des contrepoints créent une tapisserie épique qui se termine par de grandes cadences étendues. Comme Schubert était aimé et reconnu en son temps, cette musique regorge de « chant et de danse » mais, à l’insu de ses contemporains, voici un chef-d’œuvre de musique instrumentale « sérieuse », l’une des nombreuses l’année dernière pour le panthéon.
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Illustration :
Caspar David Friedrich, falaises de craie sur Rügen, détail, 1818, huile sur toile, 90 x 70 cm, Kunst Museum Winterthur © Kunst Museum Winterthur.