La première page de l’allegro d’ouverture établit une échelle d’expression étonnamment vaste de plusieurs manières. Le thème principal fait de grands sauts dans un mouvement toujours ascendant qui s’étend encore plus loin avec un chromatisme sinueux sur plusieurs mesures avant que son élan ne soit transféré au piano où il remonte vers le haut dans une série d’arpèges accélérés qui se posent finalement sur un accord dominant massif. Une autre page complète de musique s’appuie sur une reformulation du thème d’ouverture rayonnant maintenant avec confiance une octave plus haut qu’auparavant. Il y a un élargissement de l’ensemble qui se développe progressivement sur le même chemin : d’abord les cordes à l’unisson, puis un dédoublement contrapuntique des voies enfin rejoint par le glorieux épanouissement du piano dans le style le plus romantique. Cette « évanouissement » de la musique est une signature pour l’ensemble du mouvement ; une esquisse iconographique de la sonate vue d’un aigle montrerait trois ou quatre puissantes houles avec les relaxations intermédiaires nécessaires à leur articulation. Typique de Brahms, la sonate offre une multitude de thèmes – au moins quatre idées distinctes qui sont étroitement liées et savamment liées. Comme la musique est un tourbillon capiteux de mouvement et de couleur, la forme du mouvement l’est aussi, une continuité merveilleusement organique infiniment variée sans révéler aucune couture sectionnelle. Comme il l’avait fait auparavant dans le premier quatuor avec piano, comme Beethoven dans le premier des quatuors Razumovsky, Brahms nous conduit à ce qui ressemble à la répétition de l’exposition pour esquiver et plonger à bout de souffle dans le développement. La musique croît et décroît, s’éloigne et se répète jusqu’à atteindre une coda significative, la rampe de lancement d’un geste final. Une dernière houle, et cela se termine au début, le thème d’ouverture succinctement et finalement clôturé sur une simple cadence parfaite.
Le deuxième mouvement andante présente un thème abandonné et cinq variations en la mineur. Avec des facettes toujours changeantes, Brahms, un maître de la variation, restitue une palette richement diversifiée de sons et de textures de trio de piano, un ensemble avec une unité puissante pourtant, en raison de sa rareté et le timbre distinctif de ses constituants, toujours une tresse intime de trois brins individuels. Les effets vont du chant emphatique à la puissance tragique et encore une fois aux doux murmures, six strophes de poésie musicale. Un ensemble de variations comprend toujours une qui change le mode de contraste ou, dans le cas, de relief : comme le thème initial et les quatre variations sont dans une tonalité mineure, Brahms passe à un la majeur vivement apaisant pour l’avant-dernière variation dans laquelle le thème est miraculeusement déguisé, flambant neuf mais toujours familier. Un décalage métrique de 2/4 à 6/8 ajoute une grâce ondulante tout en imprégnant le chagrin final d’une grâce déchirante.
JetsonsLe presto scherzo redonne de l’élan avec une légèreté vive et agile qui évoque Mendelssohn pour la deuxième fois dans ce programme. Avec une marque que les deux compositeurs ont partagée dans de telles circonstances, semper leggiero (toujours léger), Brahms fait peser sur le pianiste la lourde responsabilité de déployer des efforts extraordinaires pour obtenir un son sans effort. Le trio est mélodieux et abondant avec des couches de mélodies qui s’empilent par vagues jusqu’à ce qu’elles s’estompent dans la course nerveuse et hérissée du scherzo en ut mineur. Le finale revient en do majeur avec un thème principal décalé sous la direction musicale giocoso (enjoué). La caractéristique clé du contour mélodique est un quatrième degré égaré et aiguisé de la gamme qui saute au sixième avant de s’arrêter au cinquième. La numérologie n’est pas importante, mais le son peut chatouiller avec la familiarité : le même contour mélodique est une signature de nombreuses chansons à thème de dessins animés, dont les Simpsons et les Jetsons. Bien qu’il y ait en effet un esprit ludique abondant, les sonorités riches, la variation inventive, les atmosphères exotiques et les percées calculées de la grandeur brahmsienne font de ce rondo fluide une finale satisfaisante et finalement noble.
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Illustration :
Claude Monet (1840 - 1926), Bord de la falaise à Pourville (1882), huile sur toile, 60 x 73 cm, Collection privée.